Impressions de Russie
En mai dernier j’ai eu la chance de partir avec ma femme à la découverte d’un pays qui appartient à notre imaginaire collectif mais qui, pour toutes sortes de raisons, n’est malheureusement pas en haut de la liste pour les touristes. Sauf cette année avec la Coupe du monde de soccer! Je m’étais dit avant de partir que, si je pouvais me libérer de notre tour organisé, ce serait bien de pouvoir visiter un ou deux clubs célèbres de ce pays qui a produit tant de champions d’échecs.
Notre première destination était la ville emblématique de Saint-Pétersbourg où, avec la révolution russe de 1917, tout a basculé. Quelques années auparavant, à l’aube de la première guerre mondiale, s’y déroula en 1914 un tournoi historique mettant en présence 3 champions du monde : Lasker, Capablanca et Alekhine. Huit autres joueurs se joignaient à eux, dont les géants Nimzowitsch, Marshall, Rubinstein et Tarrasch.
Voici une photo extraordinaire qui réunit cinq des joueurs que tout échéphile a gravé dans sa mémoire, soit Lasker (qui finit 1er avec 13,5), Alekhine (3ème avec 10), Capablanca (2ème avec 13), Marshall (5ème avec 8) et Tarrasch (4ème avec 8,5).
J’aurais bien aimé inspecter l’endroit où a eu lieu ce tournoi. C’était là que se réunissait le Club d’échecs de Saint-Pétersbourg où a pu voir le tsar Nicolas II, Sergueï Prokofiev et des légendes du monde des échecs.
Malheureusement mes efforts demeurèrent vains, et pour cause, l’endroit ayant été converti en un appartement du centre-ville. J’ai cependant trouvé un article fascinant de la BBC qui parle de ce tournoi historique :
Saint-Pétersbourg 1914: Reflet d’un autre âge
Par Steve Rosenberg, extrait traduit d’un article de la BBCAu printemps de 1914, le Club d’échecs de St Pétersbourg, afin de souligner son 10ème anniversaire, décida de devenir hôte d’un tournoi réservé aux meilleurs joueurs de la planète. Certains d’entre eux furent contraints de s’abstenir. Les méga-stars de l’empire austro-hongrois furent notamment obligés de décliner l’invitation en raison des tensions d’avant-guerre avec la Russie.
Néanmoins, la liste des concurrents était des plus impressionnantes.
Le grand favori, Emanuel Lasker, originaire d’Allemagne et champion du monde depuis une vingtaine d’années brillait par son élégance et inspirait tant de respect que la presse de Saint-Pétersbourg l’avait surnommé « le poète de l’échiquier ». Son principal rival était un jeune homme qui allait bientôt être baptisé « la machine à jouer aux échecs », le flamboyant diplomate cubain Jose Raul Capablanca.
Il y avait également l’austère Anglais de Manchester Joseph Blackburne (appelé « La Mort Noire »). Des États-Unis, provenait le meilleur tacticien au monde, Frank Marshall. Représentant la Russie, l’agressif Alexandre Alekhine. Ils étaient tous là, s’affrontant dans ce qui est devenu aujourd’hui un grand appartement privé de St-Pétersbourg.
Pendant un mois entier, l’Europe sembla oublier qu’elle se trouvait au bord de la guerre, fascinée voire même pétrifiée par l’affrontement échiquéen de Saint-Pétersbourg. Chaque mouvement, chaque échange dans ce grand tournoi fut retransmis à travers le continent par une armée de journalistes. La salle de jeu était trop exiguë pour accueillir les spectateurs qui affluaient. Un journaliste s’est plaint que « la congestion et la chaleur étaient presque tropicales ».
C’est ainsi que le journal Novoye Vremya décrivait l’atmosphère:« Les spectateurs étaient entassés comme des sardines dans un tonneau, ils se tordaient le cou, ils se tenaient sur la pointe des pieds, même sur des chaises pour voir la pièce … une pièce totalement opaque en raison de la fumée de tabac et semblable à une morgue où l’on découpe des cadavres. «
Et pourtant, dans l’enfer suffocant et enfumé du club d’échecs, on pouvait deviner que quelque chose de spécial émergeait de la lutte intellectuelle qui s’y déroulait, quelque chose qui transcendait les échecs, quelque chose de grand qui changerait le monde pour le mieux. Le journal Kopeika prédisait qu’à Saint-Pétersbourg « le noble jeu d’échecs » réussirait à « promouvoir la paix mondiale ».
Dans la revue Rech, Emanuel Lasker allait encore plus loin. Il laissait entendre que les compétiteurs penseraient si fort à chacun de leurs coups que, quelque part en chemin, ils créeraient un « nouvel ensemble de valeurs » pour l’humanité. Un idéal élevé, qui s’avérera trop ambitieux…
Une semaine avant l’apparition des premières libellules, Lasker fut déclaré champion du tournoi de Saint-Pétersbourg. Durant l’été de 1914 se tint une autre compétition internationale d’échecs, celle-là à Mannheim, en Allemagne. L’empire russe y était représenté par 11 joueurs.
Malheureusement, il restait alors peu de gens qui croyaient que le jeu d’échecs pouvait changer le monde. À l’issue de la 11ème manche du tournoi de Mannheim, l’Allemagne déclara la guerre à la Russie. Tous les joueurs russes furent arrêtés et emprisonnés, y compris le futur champion du monde, Alexandre Alekhine. Plus tard, ce dernier serait placé en isolement pour avoir souri à un gardien.
En réponse à la déclaration de guerre, le tsar Nicolas II renomma sa capitale. De fait, « Sankt Peterburg » semblait trop allemand et la ville devint Petrograd – de consonnance beaucoup plus russe. Bien sûr, le cauchemar de la Russie du 20ème siècle ne faisait que commencer. La guerre mondiale mènerait à la révolution et à une sanglante guerre civile.
Mais ce que je trouve le plus remarquable à propos de la Saint-Pétersbourg de 1914, c’est qu’à ce moment précis de son histoire – à la veille d’un changement cataclysmique – la Russie d’alors venait d’atteindre un sommet créatif. Les artistes, les compositeurs, même les joueurs d’échecs, avaient décidé que tout allait bien, expérimentant comme jamais auparavant avec les mots, les sons, les couleurs et les combinaisons. »
Deux semaines plus tard, mon périple me conduisit à Moscou qui s’est fait très belle pour accueillir en juin les amateurs de foot du monde entier. Là également j’ai tenté de trouver quelque lieu dont les murs ont vu les plus grands joueurs. C’est comme ça que, non loin de la Place rouge, je suis tombé sur la Maison centrale des échecs de Moscou, au 14 boulevard Gogolevski ouverte depuis 2014 seulement. Lorsque je pousse la porte de cet impressionnant bâtiment dont le hall est pratiquement vide, un homme est debout près de son bureau. Je m’approche timidement et lui demande en anglais si on peut visiter. Sans dire un mot, il va chercher dans un tiroir une feuille qu’il me remet. On y explique que le musée est ouvert seulement les mardis et jeudis et pour les groupes seulement. Il est samedi et mardi je prends l’avion en direction du Cercle d’échecs de Hull. Une chose que j’ai remarquée en Russie est que l’anglais est très peu parlé même dans les endroits touristiques comme les musées. Mais avant de repartir penaud, une porte donnant sur le hall me permit d’apercevoir une trentaine de joueurs, dont la moyenne d’âge m’apparut assez élevée, participant à ce qui semblait être un tournoi local. Ce fut tout ce que je pus voir de ce musée. Mais je suis tout de même parvenu à trouver cet article fort intéressant qui nous permet d’en faire la visite virtuelle :
http://lecafedelaregence.blogspot.com/2017/08/voyage-en-russie-2eme-partie-le-musee.html
Ainsi que cet article sur Andrei Filatov, président de la Fédération russe des échecs où il parle du musée et de l’importance de développer les échecs chez les enfants :
http://www.russieinfo.com/la-renaissance-des-echecs-en-russie-22-2017-12-19
Quelques jours plus tard je prenais l’avion en direction de Gatineau où se déroulait la dernière partie de notre championnat. Je me levai ce jour-là à 20h la veille de la partie (soit 4h du matin mardi 22 mai heure de Moscou). Je me disais qu’en partant 24 heures à l’avance j’aurais peut-être la chance d’assister au moins à la fin des parties. Et malheureusement non. Après une journée de près de 27 heures, je posai mes valises chez moi à 23 heures, fourbu, et me suis dit qu’il était probablement trop tard de toute façon! Félicitations à notre nouveau champion Michel Desjardins, au gagnant du Réserve Daniel Raymond et à tous les participants!
En terminant, je voudrais mentionner que j’ai fait ce tour avec la compagnie Lambert de Québec. Ce fut un voyage fantastique que je recommande à tous ceux d’entre vous qui voudraient découvrir ce merveilleux pays!