Analyse rétrograde
Thierry Le Gleuher
(Photo : christian.poisson.free.fr)
Problémiste Français, il compose essentiellement en genre rétro. Champion du monde 2001-2003 de composition en analyse rétrograde. Nommé MI pour la composition en 2010, il a publié environ 350 problèmes dont 115 ont été récompensés en tournois et championnats internationaux. Champion de France de résolution de problèmes rétros en 2009 et 2011. Il dirige la rubrique analyse rétrograde de la revue Phénix depuis 2001. Ses œuvres sont souvent des énigmes inattendues et il privilégie dans sa démarche la qualité offerte par l’œuvre au solutionniste. Il est prudent d’éviter toute conclusion hâtive lors de la recherche de la solution. Thierry Le Gleuher a sans doute caché une finesse derrière une porte dérobée !
La Ligue d’échecs de l’Outaouais est fière de compter M. Le Gleuher parmi ses collaborateurs réguliers.
Dans le monde du problème d’échecs, il est un domaine qui se distingue particulièrement des autres par le mode de raisonnement utilisé pour répondre à la question posée par l’énoncé ; c’est l’analyse rétrograde.
En effet dans un problème d’échecs classique (mat en 2 coups par exemple), on part de la position du diagramme afin d’essayer de satisfaire l’énoncé. On part donc du présent (position du diagramme) pour avancer vers le futur (la position du mat), alors qu’en analyse rétrograde c’est l’inverse, car l’adjectif rétrograde dérive ici du verbe «rétrograder» pris dans le sens de : reculer, faire marche arrière.
Il s’agit donc de partir de la position du diagramme (présent) et revenir dans le passé de la partie afin d’y découvrir des éléments essentiels pour pouvoir répondre à la question posée par l’énoncé. Cette question peut revêtir diverse formes dont les plus simples sont : Quel a été le dernier coup ? – Quels ont été les x derniers coups ? – Qui a le trait ? – Où a été capturée telle pièce ? – Quel a été le premier coup de telle pièce ? – et beaucoup d’autres que nous aborderons au fur et à mesure.
Ce retour sur le passé de la partie s’apparente à une enquête sur l’échiquier comme a pu le populariser Raymond Smullyan dans son livre « Mystère sur l’échiquier avec Sherlock Holmes ». Il s’agit de découvrir les indices (présents sur l’échiquier), qui mis bout à bout permettre de faire des déductions afin de résoudre l’énigme. Car un bon problème d’analyse rétrograde se doit d’être une énigme pour le solutionniste, plus ou moins coriace en fonction de la difficulté du problème et de l’expérience de l’enquêteur dans ce domaine peu connu.
Vous êtes fort joueur d’échecs et rien ne vous résiste? Vous êtes débutant et avez un esprit d’analyse? Alors, prenez le temps de faire quelques pas en analyse rétrograde, vous serez agréablement surpris.
Passons aux choses concrètes.
Pour débuter, voici un petit problème composé uniquement pour attirer le joueur d’échecs vers le domaine de l’analyse rétrograde.
Phénix 2007 |
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(8+6) |
Ici l’énoncé demande aux Blancs de jouer et de faire mat en un coup.
Trop simple, me direz-vous, mais dans ce type de problème la difficulté ne réside pas dans la façon de faire mat en un coup, mais plutôt dans la façon de justifier la solution.
En effet, on voit rapidement qu’il n’y a en apparence que deux façons de mater en un coup. 1.Td1# ou 1.0-0-0#
Pour autant ce genre de problème se doit de ne comporter qu’une seule solution, autrement il serait démoli (incorrect). Alors la bonne question que l’on doit se poser est : « Le 0-0-0 est-il légal ? ». Autrement dit, si l’on peut prouver que les Blancs ont perdu leur droit de roquer, alors il n’y aura plus qu’une solution.
Examinons l’échiquier et cherchons les indices !
La position des Pions noirs é7 et g7 (sur leur case d’origine) prouve que le Fou noir initialement en f8 a été capturé sur sa case d’origine sans avoir bougé.
Le Fou noir présent en ç7 est donc un Fou de promotion (et oui, dans les problèmes rétrogrades, il y a souvent des sous-promotions, ce qui n’est que très exceptionnellement le cas au cours d’une partie classique).
Ce Fou a été promu sur une case noire, c’est-à-dire en ç1, é1 ou g1 (a1 est inaccessible pour un Pion noir) et a ensuite rejoint la case ç7.
Bien évidemment s’il a été promu en é1, le Roi blanc a dû s’écarter (bouger) et le 0-0-0 est cassé.
Pour accéder à la case ç1, le Pion noir a dû passer par d2, administrant (si le Roi n’a pas encore bougé) un échec fatal au Roi blanc et l’obligeant ainsi à s’écarter (pas question de capturer le Pion noir donnant échec puisqu’il devrait aller se promouvoir).
Bien sûr, le même raisonnement est applicable pour la case de promotion g1 car le Pion noir serait passé par f2.
Ainsi on démontre que dans tous les cas le Roi blanc a forcément bougé dans le passé de la partie et que le 0-0-0 blanc n’est maintenant plus permis.
Solution (unique) : 1.Td1#
Certains trouveront ce problème très facile, mais c’est volontaire afin de ne pas décourager immédiatement les plus néophytes en analyse rétrograde. Les problèmes d’analyse rétrograde les plus complexes peuvent se révéler d’une difficulté diabolique, parfois au point qu’on les pense insolubles. Mais rassurez-vous, la difficulté n’augmentera que progressivement.
Voici donc un deuxième problème, d’un degré légèrement au-dessus et dont la solution sera donnée plus tard.
Phénix 2007 |
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(14+14) |
Ici encore il faudra prouver que le 0-0-0 n’est plus permis !
Questions, solutions, commentaires? Écrire à Thierry Le Gleuher.